Certaines personnes sont fatiguées de voir ce mot clamé partout : manager avec bienveillance, l’entreprise bienveillante, le leader bienveillant, la bienveillance entre collaborateurs, soyez bienveillant avec vous-même, soyez bienveillants vous sauverez le monde etc.
Cette notion devient une injonction galvaudée vide de sens, et semble parfois déconnectée de la réalité vécue comme délétère, du monde du travail et de la société : ce n’est pas en prêchant des attitudes qu’on les fait advenir.
Les allergiques à l’hypocrisie et au détournement sémantique « bullshit » grimacent de dégoût.
Même, cette commande peut être utilisée à des fins de manipulation : sous couvert de bienveillance on peut faire beaucoup de mal.
Et pourtant, lorsque je pose le cadre en animation de groupe, en formation ou en codéveloppement, j’inclus la bienveillance dedans (c’est l’une des 3 règles en codéveloppement, avec confidentialité et parler-vrai). Tout le monde acquiesce et personne n’a la même compréhension du mot que son voisin.
Je partage dans cet article ma vision de la bienveillance telle que je la présente en animation, et également tout ce que ça implique comme travail sur soi.
J’ouvre ensuite sur un questionnement englobant le monde et le futur, et nos choix individuels et professionnels en rapport avec « bien veiller au bien ».
Contenu
Ma proposition de définition
Je précise donc que ce que moi j’entends par bienveillance : c’est « bien veiller au bien ».
En effet, d’une part voici l’étymologie présentée par Wiktionnaire :
D’après le « dictionnaire étymologique de la langue françoise », par B. de Roquefort (1829) bienveillance ne vient pas de benevolentia mais bien de bona vigilantia, la bonne vigilance ou le fait de bien veiller. Même racine que veille, vigie, vigilance etc. Le sens de soin attentif, d’attention soigneuse qui fait veiller (veillée des morts, veillée des gardes, des heures de nuit, etc). Cette fausse étymologie a ainsi permis un détournement du sens qui aujourd’hui est synonyme de gentillesse, alors qu’il s’agit plutôt d’exercer une bonne vigilance, d’être attentif.
En atelier ou formation, si bienveillance c’est « bien veiller », à quoi veille-t-on bien exactement ? C’est pourquoi j’ajoute bien veiller « au bien ».
De là on prend le risque de se lancer dans un débat sur ce qu’est le bien et le mal, débat que je mets de côté car ce n’est pas l’objet de l’atelier.
Cela se traduit par la question à se poser : quand j’interviens, par la parole et également par mon attitude non-verbale, est-ce que mon intervention va participer de la construction de bien, ou de la construction de mal (ou destruction de bien) ?
J’arrête là ma définition.
Parfois j’ajoute une phrase que j’aime bien, quand on est dans le thème de l’assertivité ou affirmation de soi :
« La bienveillance c’est dire non avec du miel, plutôt que oui avec du fiel »
Enfin, je prends parfois le temps de donner cet exemple basique :
Je rentre dans un magasin et le vendeur ne me dit pas bonjour. Que vais-je décider en partant : lui dire au revoir, ou ne pas lui dire au revoir ? Lequel des 2 comportements participera plus pour le bien ?
Pas de recette magique, mais des ingrédients
Pour être capable de favoriser la bienveillance dans nos comportements, il y a beaucoup d’aptitudes à acquérir, en voici quelques-unes.
Développer la réflexivité, mieux se connaitre
Nous fonctionnons la majeure partie du temps en mode automatique : il ne m’a pas dit bonjour, je ne lui dis pas au revoir.
Si on s’intéresse au mécanisme qui a abouti à ce comportement, on pourra trouver, par exemple, les pensées et sentiments suivants :
- « il ne m’a pas vu, personne ne me voit, je ne vais pas reprendre le risque de me prendre un vent c’est trop dur » – déception
- « quelle personne mal éduquée ! et ses employeurs ne l’ont pas formée ! je vais lui apprendre ! » – frustration
- « œil pour œil dent pour dent ! » – colère (escalade symétrique)
- « ah, le monde se dégrade » – inquiétude
- « ….. » – surprise, sidération
Le travail réflexif permet de venir modifier nos schémas automatiques, afin de maximiser nos chances de réaliser notre intention à travers notre action. Il s’agit donc également de connaitre notre intention !
Ici on peut proposer : mon intention est de veiller au bien. Dans cette situation, quel est le comportement qui favorise le bien ?
Personnellement, je pense que dire au revoir sera le comportement le plus constructif :
- Si j’agis de manière symétrique, en imitant des comportements que j’évalue négatifs, j’abaisse mon niveau de comportement et le niveau général de bien.
- Si je conserve mes principes et que je reste exemplaire dans mon comportement, le niveau général de bien reste le même, et il aura une chance d’augmenter si la personne m’imite.
J’agis alors avec intention et non en mode automatique.
La remise en question et l’empathie
Si j’accepte que mes certitudes sont toutes relatives, je m’ouvre à d’autres possibilités de compréhension des situations, et de nouvelles manières d’agir.
Si j’ajoute avec ça un principe de base : celui de prendre en compte la situation de l’autre, et de le considérer comme quelqu’un qui a de bonnes raisons de faire comme il fait, je vais pouvoir trouver d’autres pensées qui me faciliteront la tâche, dans mon intention de veiller au bien.
Dans notre exemple, cela peut être :
- Il m’a dit bonjour et je n’ai pas entendu
- Il vient de recevoir une mauvaise nouvelle et il est perdu dans ses pensées
- A force de clients qui rentrent sans dire bonjour, il a lui-même arrêté de le dire
- Il me confond avec le client qui vient de sortir
- Il a une extinction de voix aujourd’hui
Ainsi je pourrai limiter les émotions désagréables que son comportement a déclenchées chez moi, et être plus maitre de mes décisions.
La communication de type non-violente
Dans cette communication, on parle de soi, on sépare les faits de nos interprétations, et on fait la distinction entre la personne et ses comportements.
Ainsi on limite le risque d’aller ajouter aux blessures de l’autre, de « construire du mal ». On donne à l’autre les éléments, les informations qui lui permettront, s’il le souhaite, de « construire du bien ».
On ne peut toutefois pas empêcher l’autre de se blesser lui-même avec ses propres schémas de pensée.
Différencier respect et valeurs
Le bien est lié à nos valeurs. Chaque personne a ses valeurs principales qui guident ses comportements, et dont la hiérarchie est différente de celle des autres.
Dans mon modèle simple, le respect n’est pas une valeur. Le respect, c’est quand on respecte une valeur.
- L’assertivité, c’est quand je respecte mes valeurs et celles des autres.
- La passivité, c’est quand je respecte les valeurs des autres et pas les miennes
- L’agressivité, c’est quand je respecte mes valeurs et pas celles des autres (la manipulation en fait partie)
Il existe bien des situations où je ne peux pas à la fois respecter mes valeurs et celles des autres, d’où les conflits, et l’impression que « l’autre ne me respecte pas » même quand l’autre n’est pas dans l’agressivité.
Ainsi, veiller au bien ne se traduit pas par les mêmes décisions de comportements chez tout le monde, et tenter d’identifier les valeurs chez soi et chez l’autre peut aider à être constructif dans sa communication.
La bienveillance à quelle échelle ?
Échelle intra et interpersonnelle
Les éléments proposés ci-dessus s’appliquent plutôt aux relations interpersonnelles dans le quotidien.
Avec ces éléments, les individus devront arbitrer pour un équilibre satisfaisant entre veiller à son propre bien et veiller au bien des autres autour.
Dans l’entreprise, cette notion de bienveillance peut aider les personnes à mieux interagir, pour une meilleure ambiance, performance individuelle et collective, et qualité de vie au travail.
D’ailleurs, le coaching améliore le fonctionnement des personnes et des collectifs sur ces aspects.
Qu’en est-il de nos décisions de bienveillance à impact plus large ?
Où l’on parle d’écologie et de justice sociale, et que ça devient encore plus complexe.
Dans quelle hiérarchie d’échelles de temps et d’espace s’inscrit ma hiérarchie de valeurs ?
Individu
Je propose de me prendre en exemple. Je suis plutôt écolo et je l’applique dans des actes plus ou moins difficiles pour moi.
Jusqu’en 2020, la valeur écologie en France d’inscrivait dans une échelle d’espace variable, et une échelle de temps lointaine. Aujourd’hui, face à l’urgence climatique et l’anticipation des pénuries de matières, c’est une valeur qui trouve sa place dans le présent.
Ainsi je fais passer cette valeur avant celles de politesse et de tradition. Je n’offrirai pas de jouet à votre enfant (sauf si vous m’avez expressément notifié un besoin spécifique), ni ne vous amènerai de bouquet de fleurs, ni trois fois trop à manger si vous m’invitez chez vous.
Ce que j’offre est plutôt immatériel, c’est ma manière de veiller au bien.
Dirigeant d’entreprise
Au sein de l’entreprise, le dirigeant doit décider d’avoir une politique qui fera le bien de certains acteurs au détriment d’autres parties prenantes, au bénéfice ou au détriment de la probabilité de survie de l’entreprise dans l’environnement extérieur en évolution incertaine.
Vis-à-vis de l’extérieur, si l’entreprise par exemple vend des voitures, elle crée de l’emploi, et permet aux usagers locaux d’aller travailler. En même temps elle nuit aux conditions de vie de personnes lointaines, et détruit le futur du vivant.
Il s’agirait alors de faire les choix qui maximiseront le bien global d’après une hiérarchie de valeurs à préciser, dans une échelle d’espace et de temps à définir, en incertitude.
D’où l’entrée en compte des convictions et des intuitions, nourries par l’intelligence collective pour maximiser l’information et garantir la divergence. Ces notions d’intuition du dirigeant, et d’outils d’intelligence collective, forment des courants émergents depuis quelques années.
Et si, par cette complexité, une entreprise ne peut être totalement bienveillante par son activité, alors selon une lecture systémique, comment peut-elle être totalement bienveillante en son sein ?
Cela serait-ce la raison pour laquelle certains ne croient pas en la bienveillance ?
Note : j’ai bien conscience que ce dernier chapitre n’est pas abouti, je tenais toutefois à proposer cette ouverture de réflexion.
Conclusion
La réflexivité pour mieux se connaitre, la remise en question et l’empathie, la communication non-violente, le respect et les valeurs, ces notions qui aident à la bienveillance font toutes appel les unes aux autres, elles sont intriquées.
Veiller au bien n’est pas évident au quotidien, que ce soit dans ses relations interpersonnelles, et aussi dans ses choix professionnels et choix de vie, en particulier selon l’échelle d’impact que l’on considère.
Veiller au bien doit parfois passer par une dégradation (de la relation, des conditions de vie de soi et des autres), et nécessite alors un grand courage.
Et finalement, le plus difficile dans cette notion n’est peut-être pas de se positionner sur ce qui est bien ou mal, mais plutôt d’être le plus souvent et longtemps possible dans cet état de veille.
Il y aura encore beaucoup d’encre à faire couler sur cette notion !
Je suis coach professionnelle certifiée et accréditée, je propose du coaching individuel pour dirigeants et créateurs, managers et collaborateurs, du coaching d’équipe et du codéveloppement professionnel et managérial, à distance.